C'est quoi, l'enluminure ?


Le nom "enluminure" est issu du verbe latin "illuminare" qui signifie "éclairer, illuminer". C'est au XIXe siècle que terme fut définitivement utilisé pour désigner l'ensemble des éléments décoratifs et images réalisés à la main dans un manuscrit.

 

Le but de l'enluminure est d'éclairer le lecteur sur le sujet du texte qu'il va lire via une ou plusieurs images, signaler le début d'un paragraphe par le biais de lettrines, ou tout simplement décorer les pages avec des bordures, des fioritures, des fins de ligne ou des "grotesques".

Quelques exemples de ses différents aspects :

L'enluminure de pleine page

(qui occupe toute la surface)

La miniature

(enluminure de taille plus modeste, qui n'occupe que la moitié ou un quart de la page)

La lettrine

(marque le début d'un texte ou d'un paragraphe)


Les bordures décoratives

(composées de motifs végétaux et animaux)

Les "grotesques" et les chimères

(créatures hybrides imaginaires servant uniquement d'ornements dans les bordures)

Les fins de ligne

(servent à combler le vide entre le dernier mot de la phrase et la marge de droite)


La réalisation d'un manuscrit enluminé

L'apparence du livre telle que nous la connaissons aujourd'hui nous vient des IIIe et IVe siècles, période à laquelle le rouleau de papyrus (volumen) est abandonné au profit du codex (cahier de pages reliées ensemble), moins encombrant et plus pratique d'utilisation. Ce type de livre a été produit tout au long du Moyen-Âge, le plus souvent dans les monastères et les abbayes jusqu'au XIIe siècle.

À partir du XIIIe siècle, un artisanat et un commerce laïcs du livre se sont développés, en raison de l'essor des universités, et l'émergence d'un nouveau public amateur de livres et assez fortuné pour en commander un. C'est aussi à cette période qu'apparaissent de nouveaux types d'ouvrages : livres d'heures, d'éruditions, almanachs, romans.

La confection d'une page enluminée se fait en plusieurs étapes :

- traçage de lignes verticales et horizontales pour guider l'écriture

- réalisation de la calligraphie

- dessin à la mine de plomb dans les espaces réservés par le copiste

- pose du mordant ou de l'assiette à dorer

- pose de la feuille d'or

- application, puis travail des pigments

- cernage en noir et rehauts de blanc


Les cahiers sont ensuite cousus ensemble et le tout est protégé par une couverture de cuir. La reliure est parfois décorée. Les livres les plus précieux pouvaient même être dotés de reliures comportant de l'ivoire, de l'or, des perles, des pierres précieuses et/ou semi-précieuses.

Disposition des cahiers avant l'étape de la reliure

 

(Rowan Watson, Les manuscrits enluminés et leurs créateurs, 2004, page 69)

Un exemple de reliure richement ornée : le Codex Aureus de Saint-Emmeran (IXe siècle)

 

 


Le matériel de l'enlumineur

Jusqu'au XIVe siècle, les enluminures sont réalisées sur du parchemin de chèvre, de mouton, ou de veau. Le vélin, issu d'une peau de veau mort-né (vélot), était le plus recherché en raison de sa blancheur, de sa douceur et de sa finesse. Il était aussi le plus onéreux, car très rare.

La peinture utilisée était fabriquée à partir de pigments purs (en poudre), broyés et mélangés avec un liant nommé détrempe. Cette détrempe est composée de trois éléments :

- la gomme arabique (permet à la peinture d'adhérer au parchemin)

- l'eau de miel (apporte de la souplesse à la peinture car la gomme arabique devient cassante en séchant)

- le blanc d’œuf rompu (sert à agglomérer le pigment)

Cette peinture dite "à l’œuf" était très appréciée pour ses qualités de tenue des couleurs. Une fois sèche, elle s'utilisait comme de la gouache. Cependant, elle était plus ou moins transparente, et l'enlumineur devait peindre en superposant de fines couches de couleurs jusqu'à obtenir l'intensité souhaitée.

Au Moyen-Âge (et jusqu'au XIXe siècle, période d'apparition des pigments de synthèse), tous les pigments utilisés par les artistes étaient issus de produits naturels :

- les terres et les pierres (les ocres, bleu de lapis-lazuli, vert de malachite...)

- les végétaux (rouge garance, bleu indigo, jaune de gaude...)

- les animaux (rouge cochenille, sépia...)

- les oxydes de métaux (blanc de plomb...)

Beaucoup de ces pigments sont encore utilisés de nos jours mais certains, très toxiques, sont interdits à la vente ou strictement réglementés. C'est le cas de l'orpiment (trisulfure d'arsenic) et du vermillon (sulfure de mercure), pour ne citer qu'eux.

Les techniques de l'enluminure

On en distingue quatre, chacune correspondant à un courant artistique d'une période donnée : l'insulaire (VIIe - IXe siècles), le carolingien (VIIIe - IXe siècles) et l'ottonien (Xe - XIe siècles), le roman (XIe -XIIe siècles), et le gothique (XIIe - XVIe siècles).

L'enluminure insulaire

On désigne ainsi les manuscrits enluminés dans les monastères d'Irlande et de Grande-Bretagne.

Cet art, non figuratif et semi-abstrait, qui accorde une place importante à la calligraphie, est caractérisé par des décors influencés par l'orfèvrerie : spirales, entrelacs, figures géométriques, visages et animaux fantastiques insérés dans les entrelacs ou formant eux-mêmes ces entrelacs.

Le travail de l'enlumineur consistait essentiellement à maîtriser la géométrie et la finesse du trait. La peinture était posée en aplats uniformes et opaques, sans mélange de couleurs, cernée de noir et rehaussée de blanc. Son usage était purement décoratif.

Incipit richement orné constitué d'un ensemble de majuscules entrelacées (Livre de Kells, folio 292r.).

Un exemple d'enluminure à usage décoratif : la page-tapis (Livre de Saint-Gall, page 6).

Détail d'une figure constituée d'oiseaux entrelacés (Évangéliaire de Lindisfarne, folio 94v.).


L'enluminure carolingienne et ottonienne

Ces deux types d'enluminure se caractérisent par un retour aux techniques de l'art romain tardif, et plus particulièrement de l'art byzantin, avec l'usage de fonds colorés en pourpre, vert ou bleu, et la reprise d'ornements de l'Antiquité : palmettes, feuilles d'acanthe, pampres (motif représentant une branche de vigne).

On y distingue en plus des influences de l'art insulaire que l'on retrouve dans des motifs et des lettrines contenant des entrelacs et des spirales.

Les artistes ont cherché à rendre les figures humaines plus vraisemblables en apportant des effets d'ombre et de lumière. Ainsi, pour les visages et les drapés, les mouvements et les expressions étaient donnés par une juxtaposition de teintes claires et sombres posées en traits sur un aplat opaque. Les motifs prenaient forme de la même façon.

En raison de ces nombreux points communs, il peut être difficile de faire la différence entre ces deux types d'enluminure.

Le style ottonien se distingue néanmoins de celui carolingien par des figures plus austères et solennelles. C'est aussi dans ces enluminures qu'apparaissent les fonds entièrement recouverts d'or, procédé que l'on retrouve dans les enluminures romanes.

Cette double page enluminée du Codex Aureus de Lorsch (folios 18v. et 19r.) montre l'influence de l'art byzantin et insulaire dans les enluminures carolingiennes.

Un exemple d'intégration d'ornements antiques dans une table des canons (Codex Aureus de Lorsch, folio 9r.).

L'art ottonien reprend les caractéristiques de l'art carolingien, mais dans un style plus solennel (Évangiles de Goslar, folio 57v.).

Les fonds dorés et le style graphique des figures de la fin de la période ottonienne ont influencé les enluminures romanes (Évangéliaire d'Otton III, folio 139v.).


L'enluminure romane

Ce style se développe en France à l'époque où les grands ordres monastiques, comme celui de Cluny, apparaissent et se diffusent dans toute l'Europe occidentale chrétienne. Les scriptoria monastiques se multiplient, car il faut approvisionner en ouvrages liturgiques les nouveaux établissements religieux, toujours plus nombreux.

Cela a d'ailleurs contribué à la diffusion de ce style artistique. Il se caractérise par une abondance de fonds dorés, les poses symboliques des personnages, un style graphique rappelant celui de la Rome antique et de l'art byzantin, l'apparition des lettrines historiées et des drôleries, le cernage des figures en noir.

La lettrine historiée connaît son plein essor dans l'enluminure romane. Elle contient soit une figure, soit une créature chimérique ou grotesque, soit une image de la scène décrite dans le texte qui suit (Bible de Winchester).

Les fonds dorés sont une des caractéristiques de l'enluminure romane. On remarque aussi l'influence de l'art byzantin et ottonien (Bible de Souvigny, folio 4v.).


L'enluminure gothique

Ce style, qui s'inspire de l'art du vitrail alors en plein essor au sein des cathédrales, se caractérise par des personnages agiles et dynamiques, aux vêtements ondulants qui, grande première, sont dessinés dans la mode du temps (et ce même s'il s'agit d’événements bibliques ou de l'Antiquité). Des éléments architecturaux servent à compartimenter les images, la perspective fait son apparition (au XIVe siècle), les décors, les figures animales, végétales et humaines sont de plus en plus réalistes, surtout à partir de la seconde moitié du XVe siècle avec l'influence de l'art flamand et italien.

Une certaine élégance, des silhouettes élancées et des vêtements ondulants caractérisent les personnages du style gothique (Codex Manesse, folio 69r.).

Un exemple de scènes compartimentées par des éléments architecturaux, avec usage de la perspective (Heures de Bedford, folio 32r.).

Avec l'influence de la Renaissance italienne et des primitifs flamands, la représentation des personnages, des paysages et des décorations de marge devient plus naturaliste et réaliste vers le XVe siècle (Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne, folios 189v. et 190r.).